• Taux Zéro - "Le temps ne fait rien à l'affaire"...

    Tau zéro (attention il y a plein de spoilers)

    Comment réussir à écrire le malaise que j'ai ressenti de ce livre, je ne sais pas trop. Mais ça fait plusieurs semaines que je l'ai lu, et il faut que je le pose. C'est plutôt rare, en général quand je n'aime vraiment pas un livre, je le fous aux oubliettes et puis c'est tout, et j'oublie son auteur.

    Il y a quelque chose dans ce livre que j'ai trouvé vraiment pénible, qui m'a gênée, profondément, c'est notamment l'absence de profondeur caractéristique de la science-fiction.
    Cette littérature, cet univers (ensemble d'univers devrais-je dire), a une profondeur de vision, un recul, une capacité d'abstraction en même temps que d'ouverture, qui font que j'aime ce genre, depuis aussi loin que je m'en souvienne après les lectures classiques ou conseillées.

    La science-fiction emmène ailleurs, loin, et pas seulement dans l'espace ou le temps, ou dans toute forme de création par l'imaginaire et la curiosité, elle emmène aussi loin de notre propre cerveau d'une certaine façon, loin de nos routines de pensée, de nos schémas, dogmes, habitudes, évidences.
    Elle sort des codes, et de notre vision si auto-centrée de la vie, ou de nous-mêmes.

    Peu importe qu'il puisse y avoir des métaphores sur certains aspects de la vie humaine, des références à la politique ou la société de différentes époques, la bonne science-fiction ouvre l'esprit, et le nourrit, d'inconnu, de surprise, de découverte, de non-rails de pensée, en ouvrant des possibles les uns après les autres, en proposant d'y entrer, de les appréhender, et pour cela de devoir percevoir une réalité nouvelle, peu importe qu'elle soit imaginée, elle existe dans le temps et l'espace de ce livre, et pour y entrer on ajuste son cerveau, on élargit sa capacité de comprendre et de découvrir.

    J'ai en mémoire ces découvertes de mondes, d'univers entiers, de Bordage à Silverberg, en passant par Van Vogt, ou d'autres, ces plongées dans l'inconnu, s'ouvrir à toute cette réalité décrite avec ses paramètres, choisis par son auteur, entrer là-dedans, et simplement, lire.

    La science-fiction m'a toujours fait cet effet-là, même à l'époque où je ne m'en rendais pas compte.
    J'ai aimé la science-fiction bien avant de savoir à quel point je l'aimais, ce qui m'a d'une certaine façon assez bouleversée quand j'ai réalisé à quel point cette littérature, ce genre, avait une place importante pour moi, dans une nécessité à imaginer, percevoir, réfléchir à du nouveau, découvrir des mondes.

    Tau Zéro semblait rentrer dans cette espèce de saveur imaginaire, créative, cet élan où l'on pousse des portes les unes après les autres, en ouverture.

    Et pourtant, Tau Zéro malgré ses nombres même plus prononçables d'années-lumières, sa vitesse faramineuse, ne propose au final qu'un recroquevillement sur soi, de la façon la plus basse et indigne de la science-fiction qui puisse être : se complaire à reproduire le monde que l'on connaît, y compris toutes ses erreurs et ses absurdités, se complaire à revenir dans du connu, tout en ayant vécu l'impossible, mais sans en avoir rien appris.

    Le "délire" scientifique (délire au sens obsession, focalisation, comme si finalement ce livre n'était que ça : une grosse extrapolation visant à mettre en scène la théorie de la relativité) est finalement le seul aspect de semi-abstraction de ce livre. Les aspects humains sont globalement absurdes, immatures, et sans envergure.
    Un peu comme faire cohabiter un développement scientifique avancé avec une immaturité émotionnelle, psychologique et sociétale, représentative de cette partie de l'humanité qui n'est pas capable de sortir du pouvoir, de l'argent, et des rails de pensée qui empêchent un être humain de penser par lui-même.
    Ils sont petits, les humains de Tau Zéro. Et c'est surrréaliste de voir ces humains si petits pouvoir maîtriser une technologie pareille tout en restant si étriqués dans leur esprit.

    Le summum de la bêtise se trouve à la fin, quand après avoir survécu à la mort et la renaissance de l'univers, en perdant tous leurs repères, et tout lien avec l'humanité connue, la seule chose qui les intéresse est d'essayer de reconstruire une société industrielle, comme celle qu'ils connaissaient.
    Comment peut-on partir si loin, traverser autant d'épreuves, et rester aussi con ?
    Ce n'est physiquement et psychiquement pas possible, ces êtres devraient être tellement éprouvés par ce qu'ils ont vécu qu'ils sont obligés de tout remettre à plat, de s'adapter à cette table rase, de devenir d'autres gens, d'évoluer, même s'ils restent fidèles à ce qu'ils sont.
    Tout l'intérêt pouvait être là, au-delà de l'espèce de prouesse (ou branlette, selon le point de vue) scientifique que représente cette histoire : comment ces êtres vont-ils survivre à ça, comment vont-ils s'adapter, comment cela va-t-il les changer.

    Mais non. En bon être humain anthropo-centré de son époque, Poul Anderson n'en a peut-être même pas vu l'intérêt.

    Il y a non seulement une impossibilité dans tout cela, (et ceci au-delà de la suspension d'incrédulité nécessaire à la lecture d'une histoire comme ça, l'impossibilité se trouve dans l'histoire elle-même, une fois admis le contexte de l'histoire, chose que l'on fait sans arrêt en littérature, et particulièrement dans ce type de littérature), mais en plus un écrasement égocentrique complètement absurde par rapport à la force de créativité et d'ouverture que propose la science-fiction.

    J'en ai été vraiment mal à l'aise, parce que non seulement ça véhicule un truc assez désagréable dans la façon d'être un humain au sein de l'univers, mais de plus ça donne vraiment l'impression que tout cela n'était qu'un gros trip intello sur base de relativité.
    Ce qui n'a rien à voir avec un roman, et une littérature bien plus vaste et intelligente que cela.