• Fuck la "gestion du stress"

    Pourquoi un gros fuck à ça ?

    Parce que ça n'a aucun sens et parce que c'est anti-empathique.

    NB : En préambule, je veux malgré tout dire que je rassemble ici des réactions diverses que j'ai pu avoir, sur la multitude de déclinaisons de cette expression très répandue et la multiplicité des sous-entendus qu'elle véhicule. Je pense que dans certains cas, et selon une certaine démarche, cette expression véhicule simplement quelque chose qui aide des personnes à se respecter et à rendre leur vie plus paisible, sans se contraindre, au contraire. Je ne mets donc pas tout dans le même panier, et je ne veux pas que des personnes qui ont besoin de puiser dans certaines techniques trouvées sous la bannière de "gestion du stress" pour prendre soin d'elles se sentent attaquées par cet article car ce n'est justement pas le propos. Le propos est l'inverse : de mettre en cause tout ce qui alimente l'auto-jugement et le non respect de soi dans ce qui est intitulé "gérer son stress".

    Aucun sens :

    La "gestion" relève du vocabulaire administratif, la première définition de "gérer" c'est gérer un bien, et ça veut dire "administrer".

    Etymologiquement, "gérer" vient du latin "gestum/gerere" qui veut dire "porter sur soi, avoir, garder".

    Alors certes c'est assez cohérent avec les significations habituelles de "gérer le stress" autrement dit "se le garder", "pas faire ch.er les autres avec". En ce sens, on est bien dans l'idée de "porter sur soi".

    Mais ça n'a pas de sens pour autant car le stress est un sentiment, on est dans la sphère émotionnelle et sensible, on ne "gère" pas un sentiment, on n'administre pas un ressenti comme on gère une entreprise, une maison, ou quoi que ce soit de matériel.

    Anti-empathique   :

    C'est le prolongement de ce que je viens de dire, avec en plus le fait que bien souvent cette expression est employée pour dire, en somme, "fais pas ch.er, gère ton stress".

    Il y a aussi bien souvent l'idée sous-jacente que "le stress c'est pas bien", donc bon, puisqu'on en a, hein, ok, ou plus exactement puisque "vous" en avez, "on va vous expliquer comment le gérer".

    Derrière "gérer le stress" il y a souvent l'idée de le faire disparaître, mais pas par la bonne porte, pas par une porte d'écoute et de respect de soi, plutôt par une porte de "ce truc dérange, voilà comment le faire dégager, de force s'il faut".

    Le stress n'est pas spécialement agréable, certes. Mais comme pour tout ressenti, essayer de le nier ou le rejeter, à terme, n'a pas des effets très fabuleux en général. Ca revient, d'une autre manière, ou bien ça s'amplifie, enfin bref, ça essaye de dire quelque chose et on lui ferme la porte à la gueule, donc ça réessaye, autant de fois qu'il faut. Et comme c'est en soi, il est plutôt difficile d'y échapper définitivement, à moins de se couper de soi.

    Par ailleurs, le "stress" comme on l'appelle souvent n'est pas toujours du vrai "stress". Le stress est un ressenti précis, particulier. Quand on écoute attentivement, dans certaines situations en effet on peut dire qu'on ressent du stress. C'est ce ressenti et pas un autre.

    Mais dans la manière dont ce mot est employé un peu partout, il devient générique et on ne sait plus vraiment si "stress" veut dire stress ou juste "ensemble de trucs qui m'agitent" ou "absence de calme".

    Le problème est qu'en n'étant pas clair sur ce qu'on ressent, il est encore plus difficile de le soigner, l'écouter, lui donner une place ou entendre ce que ça veut dire, profondément, pour soi.

    Enfin, parler de "gestion du stress" comme de "se démerder avec quelque chose qui nous casse les pieds, mais qui est là", relève aussi d'une résignation presque pourrait-on dire. Le mot est sans doute un peu fort, mais si on se contraint à "gérer son stress" c'est peut-être parfois qu'on ne pense même pas qu'on pourrait tout simplement ne plus en ressentir autant. Non pas en s'en empêchant, évidemment, mais en avançant vers quelque chose qui nous convienne mieux.

    Je ne dis pas que c'est toujours possible, ni facile, ni simple, je n'ai pas pour habitude de dire que "y'a qu'à", pas du tout. Simplement je pense qu'en se coupant de la source d'information, qu'est le ressenti tel qu'il est, en l'occurrence par exemple le "stress" (précisément ou dans un sens dérivé), on ne peut pas savoir s'il y aurait éventuellement d'autres solutions pour non pas "gérer le stress" mais en supprimer certaines causes extérieures, ou en soigner certaines causes intérieures.

    Je pense qu'on n'incite pas les gens à se respecter de manière simple et à avoir une certaine douceur envers eux, avec toutes ces histoires de "gestion du stress".

    Et je pense que plutôt que de véhiculer continuellement du contrôle de soi, les sphères prétendant vouloir aider les personnes à s'épanouir devraient apporter de réels soutiens pour s'écouter, se respecter, se comprendre.

    Et si je poussais le bouchon un peu loin sans doute, je ne serais pas loin de penser qu'une bonne partie du "développement personnel" est dérivé ou réutilisé par un mécanisme social voire économique ou politique, qui tend non pas à épanouir réellement, mais bien à "gérer" des individus d'une manière acceptable pour un collectif et une société. De même que les religions ont été largement utilisées pour contrôler les foules finalement. Je ne dis même pas que ça soit conscient, à part peut-être à certains endroits, mais finalement à plein d'endroits plutôt que de se soulever, on "gère son stress". Ah. Et donc ? quand est-ce qu'on change le système si tout le monde "gère son stress" pour arriver à le supporter alors qu'en fait, il est inhumain ?

    Je vais certainement un peu loin, mais il y a une chose dont je suis sûre, c'est que les grands combats de société ne se sont pas menés par la gestion du stress, et que ces combats nous ont permis, à nous aujourd'hui, d'avoir gagné des droits que les générations d'avant n'avaient pas. Et que si, par exemple, les féministes avaient "géré leur stress" plutôt que de commencer à se rebeller contre les inégalités, le fait que les femmes servaient de boniches, etc etc. eh ben.... pas mal des charmantes auteures actuelles de jolis bouquins d'"auto-ferme-ta-gueule-ma-biche" n'auraient même pas le droit d'écrire un livre en leur nom propre.

    Alors bon.... faudrait peut-être un peu laisser les gens vivre, et leur offrir des moyens d'aller VRAIMENT mieux, pas des béquilles pour mieux accepter de marcher avec trois tonnes de trucs sur le dos.

    Le "stress" comme tout sentiment est un ressenti qui mérite le respect intérieur, et une écoute, pour comprendre et entendre ce qu'il a à dire. Et ce, de manière posée, et pleine, parfois ce n'est pas tout à fait ce que l'on en pense, et parfois même si c'est ce que l'on en pensait (trop de boulot, trop de choses à faire.....par exemple), écouter en profondeur, s'autoriser ce temps, cette vie intérieure, l'accès aux besoins que nous avons, peut être un bienfait important et nécessaire.

    L'escargot-doups (cherchez pas, ça veut rien dire de plus, parfois des onomatopées me traversent la tête, c'est comme ça, parfois plus explicites que plein de mots, juste un "dloups" qui passe :) )