• "Conscience"

    Etre conscient de, être conscient (tout court), être plus conscient que, avoir la conscience, avoir plus de conscience que....
    Autant d'expressions qu'on entend, employées un peu partout, plus ou moins à tort et à travers, et sans réelle considération pour le sujet dont il est question, ou l'interlocuteur à qui on parle ou que l'on évoque indirectement.

    "Je suis conscient", ou "être conscient de", est devenu une manière de dire "je suis plus intelligent que toi", "je suis meilleur que les autres", "j'en sais plus que tout le monde", ou même "tu es vraiment con mais je te pardonne, tu n'es pas conscient, moi si".

    On entend parler de "conscience" dans tous les domaines pratiquement, mais en ce moment par exemple une des modes principales est l'écologie.
    On voit aussi une utilisation à tour de bras de ce détournement du mot "conscience", évidemment, dans les milieux ésotériques, new age ou assimilés, et dans tous les domaines où quelqu'un au nom de la spiritualité ou de quoi que ce soit de sacré, mystique, ou différent, se prétend supérieur aux autres (plutôt que de simplement pouvoir exister dans la différence).
    Je l'ai déjà entendu aussi dans des milieux proches des deux premiers, végétariens, ou vegan, de la part de gens qui semblent ne pas pouvoir considérer que leur point de vue et leur sensibilité n'est pas une conscience supérieure, juste un point de vue et une sensibilité, un choix parmi tant d'autres.

    L'utilisation et le détournement du mot conscience dans des directions qui n'ont pas grand chose à voir, et pour des motifs divers et variés, a pas mal d'inconvénients, dont à mon avis les deux principaux sont :
    1/ le développement ou l'alimentation de guéguerre de pseudo-supériorité entre les gens, ce qui empêche de régler véritablement les problèmes dont il est parfois question ; en d'autres termes je pense que cela nuit à un certain nombre de causes. Par exemple la cause écologique. Parce que la condescendance et l'irrespect ne sont pas parmi les meilleures manières de porter un message, et finissent assez souvent par produire l'inverse de ce que l'on veut. A force de traiter les autres de cons par grandes phrases interposées sur la "conscience", on passe à côté à mon avis de la possibilité de régler les choses ensemble, et on se divise au lieu d'avancer.
    2/ le fait de ne jamais se parler vraiment et de contourner sans cesse ce dont il est réellement question finalement. Le mot "conscience" dérive tout, sans rien dire de concret. Quand on parle d'écologie, il n'est pas la peine d'agiter de la grande "conscience" pour se faire mousser, plutôt que de parler concrètement de faits, d'observations scientifiques, de réalité. Cela suffit. Mais je pense aussi que cela est plus dur.
    Parce que quand on ramène le sujet non pas sur une pseudo "supériorité" ou du blabla qui oppose les gens entre eux, on revient à ce qui nous touche, ce qui nous fait mal, ce qui nous fait réagir. Ce n'est pas toujours agréable, en particulier quand la personne en face s'en fout. Alors, éventuellement, on en vient à se draper dans la "conscience", pour ne pas sentir à quel point ça fait mal que quelqu'un qui pourrait agir pour une cause qui nous touche profondément, s'en foute et nous le balance à la figure.
    Pourtant la réalité, plus simple, terre à terre, et plus opérationnelle, n'est pas une histoire de conscience de ci ou ça, mais de sensibilité et intérêt pour l'écologie, possiblement appuyés sur des faits et des observations concernant l'état de la planète.

    Il y a d'autres problèmes dérivés de l'utilisation détournée du mot "conscience", dont l'un d'eux est le fait de confondre opinion et fait / vérité / réalité.

    Le premier sens du mot "conscience" est connaissance. L'étymologie de conscience est conscientia, apparenté à scientia, signifiant savoir, connaissance des choses, venant de sciens, participe présent de scio, "savoir".

    Dans conscience il y a donc bien la notion de savoir, autrement dit de "vérité", en quelque sorte. Savoir quelque chose n'est pas la même chose que penser ou croire quelque chose. Ce n'est pas une opinion. C'est la connaissance d'un fait, d'une réalité.

    Donc quand on se dit "conscient de quelque chose", cela signifie que l'on considère ce quelque chose comme vrai, que c'est un savoir.

    D'où la nécessité de faire attention aux contextes dans lesquels on l'emploie, car beaucoup des choses que nous disons ne sont pas des "savoirs", mais des opinions, ou un mélange des deux, y compris dans des domaines où il existe une base scientifique, à laquelle on se réfère, mais à laquelle on mêle aussi potentiellement son avis, qui lui n'est pas scientifique.

    Dans le domaine de l'écologie, ça se manifeste par exemple par une confusion entre deux choses : la connaissance de tel ou tel phénomène, dégât, danger, état de la planète, observé, mesuré, selon des expériences qui sont reproductibles ; et les conclusions que l'on en tire, par exemple sur ce qu'il faut faire ou pas faire, individuellement ou collectivement.

    Si je dis cela, ce n'est pas pour couper les cheveux en quatre ou faire de rhéthorique qui servirait l'immobilisme ou le déni du problème. C'est parce que je pense notamment que dans le domaine de l'écologie, nous devons rester vraiment très humbles.
    S'il y a bien une chose que l'observation de la vie montre, c'est souvent que quand on touche quelque chose d'un côté, on ne sait pas vraiment ce qui va se passer ; que quand on interfère dans un éco-système, même avec beaucoup de bonnes intentions et sur la base d'observations scientifiques à un moment donné, on n'anticipe pas forcément les conséquences, ou les conséquences des conséquences.

    Cela ne doit pas empêcher d'agir, de réfléchir, de chercher.
    Mais cela doit nous obliger à rester humbles et observateurs dans notre démarche, plutôt que brasser à tours de bras des certitudes présentées en "conscience" du moment, sur le fait que par exemple telle ou telle stratégie est forcément la bonne etc.

    On peut se fourvoyer en écologie. On peut croire qu'une solution est parfaite, et foncer tête baissée dedans, et puis finalement réaliser que ce n'était pas si binaire et simple que ça, et que la solution plus durable, plus profonde, était une sorte d'équilibre ou de synergie de plusieurs évolutions ou modifications, d'avancées conjointes, et aussi d'écoute et de modération, pour éviter d'autres déséquilibres.

    Dans ce domaine particulièrement, je crois que nous ne pouvons vraiment pas nous permettre d'avoir l'orgueil de croire que nos convictions d'aujourd'hui sur le plan concret soient l'absolu savoir qui nous permettra de vivre dans un équilibre réel, et durable, avec notre environnement.

    Je pense donc aussi que dans ce domaine, et sûrement dans d'autres, conserver un vocabulaire assez précis, proches du réel, permet de mieux respecter et faire avancer "la cause" ou la réflexion et l'action. "On a observé ceci et cela" ; "je pense/je voudrais ceci et cela".

    En ramenant à soi sa propre pensée, son opinion, sa conviction, aussi forte soit-elle, aussi argumentée soit-elle, on laisse à d'autres la place pour exister avec une autre opinion, partant de la même observation mais allant dans une direction différente.
    Et il est possible que toutes ces réflexions, en acceptant de les mener, les nourrir, les démêler, nous aident à avancer petit à petit vers du mieux, en réglant les choses petit à petit, mais en faisant moins d'allers et retours, avec moins de heurts dans le chemin, de cahots, ou de conflits.
    Il est certain que certains problèmes sont particulièrement urgents, et qu'il y a des priorités à gérer aussi. Mais je ne crois pas qu'en s'agitant en permanence et en se hurlant de la "conscience" à la figure à tout bout de champ, on avance réellement.

    Un autre problème de cette utilisation du mot "conscience" pour se draper dans une sorte de supériorité ou d'écrasement ou défense vis à vis d'autres points de vue, est qu'on finit par se tromper de cible.
    Pour ma part je suis profondément "écolo" si vraiment on veut mettre un mot là-dessus. Petit à petit, en fonction de ce que je peux faire, de ce dont je me rends compte (au sens factuel) et sur quoi je peux agir, sans tomber dans de l'affolement, de l'excès, ou une espèce de surcharge dans laquelle on ne peut finalement plus rien faire, petit à petit j'avance sur des domaines divers, mais sans avoir pour autant adopté une ligne rigide, un dogme, ou quoi que ce soit dans ce style.

    J'écoute ma sensibilité, mes tripes, et je me respecte moi, et j'avance.

    Quand j'écoute les "écolos", à grand coups de critiques, de "il faut", de "nous on est conscients", etc... la plupart du temps j'ai juste mal.
    Souvent le discours est jugeant et/ou pas clair, on ne sait jamais vraiment finalement qui en fait assez ou pas selon eux, et tout cela ressemble quand même beaucoup parfois à un gros règlement de comptes, aveugle, c'est à dire confondant tout et tout le monde, sans se rendre compte que beaucoup de gens réfléchissent, essayent de faire au mieux, et aussi que d'autres gens n'y pensent peut-être pas, ou même en ont marre de ce discours, mais que ce n'est pas en les engueulant et en les rabaissant que l'on va faire avancer les choses (que ça soit l'écologie ou le respect des personnes).

    J'ai fait des choix écologiques forts dans ma vie, mais je ne parle pas avec "les écolos", ils me fatiguent, voire ils me font mal comme je disais.

    J'apprécie la simplicité, le respect, une certaine ouverture, et je suis convaincue que le respect de la planète va de pair avec le respect de tous les êtres vivants, dont les humains.

    En clair, je trouve nombre des écolos imbuvables avec leurs grands airs, et quand ils se mettent à brasser de la "conscience" à tout va, je me dis que s'ils disaient juste ce qui les touche, en proposant des moyens d'action, en avançant, quitte à faire face à l'adversité sans pour autant devenir prétentieux, ils pourraient vraiment beaucoup plus être utiles à la cause, et beaucoup plus fréquentables aussi.

    *

    Au-delà de sphères comme celle-ci où le mot "conscience" est détourné mais en lien avec quelque chose malgré tout, une cause, une opinion, quelque chose que l'on cherche à promouvoir ou faire avancer, il y en a d'autres dans lesquelles on ne s'embarrasse même plus de mettre un "de" ou "que" derrière le mot "conscience".

    Il devient ainsi complètement désincarné, et surtout, très pratique pour se décréter supérieur à tout le monde.

    Et même lorsque le mot "conscience" est associé d'un "de" ou d'un "que", dans ces sphères particulièrement, ce ne sont jamais des faits que l'on trouve derrière, mais des opinions, des certitudes, des croyances, ou des jugements.

    *

    Le danger, grave à mon sens, de cette insinuation du mot "conscience" détourné dans de nombreux domaines, est aussi qu'il va avec un mélange de différentes sphères, en fourrant tout ça sous la bannière "conscience".
    Un peu comme un package qu'il faudrait prendre en entier, ce qui est très caractéristique de sphères comme le new age ou le développement personnel notamment.
    Cela se rencontre aussi, et parfois s'additionne, se mélange, dans les sphères écolo-végé, avec des mélanges hallucinants de croyances imbriquées, et de lieux communs qui deviennent presque la mondanité de base de ces sphères-là.
    En cocktail de toutes ces gentilles personnes, au menu de la "conscience", on trouvera l'éco-construction, le jardinage bio et pourquoi pas même avec un soupçon de trucs énergétiques, le végétarisme, voire un soupçon de feng shui et de calendrier maya.

    Tout ça est tellement allègrement mélangé à la sauce n'importe quoi, qu'on ne voit plus vraiment ce que c'est censé faire avancer, ni même de quelle "conscience" il s'agirait.

    Tout cela est dangereux aussi à mon sens pour des causes qui n'ont pas de temps à perdre avec des conneries pareilles, par exemple l'écologie, ou encore les droits humains.
    Et l'enjeu de ces causes n'est pas de faire des grands discours sur la "conscience", mais de se faire entendre, respecter et d'avancer. On n'a pas besoin de grands mots prétentieux pour dire ou faire ça, on a surtout besoin de ses tripes et de son courage.
    Je pense là encore qu'à force de brasser des mots-valises pseudo-philophiques, on se perd et on oublie de dire de quoi il est question, plus profondément :
    de respect, d'empathie, d'écoute, par exemple quand il s'agit d'entendre les droits des victimes de violences ;
    d'égalité, quand il s'agit des discriminations ;
    et j'en passe.

    "Conscience" ne veut rien dire en soi, si ce n'est dans des sens philosophiques très élaborés, la question c'est : de quoi est-ce que l'on parle ?
    Pourquoi est-ce que l'on se cache derrière un mot fourre-tout plutôt que de dire de quoi on parle, ce qu'on ressent, ce qu'on veut, ce qu'on pense ?

    A la sauce new age, la pseudo-"conscience" annihile l'individu, donc ses droits, sa capacité de réagir, de se défendre ou de se battre.
    Les causes défendues finissent par sembler prétentieuses, rien que par la façon dont les gens en parlent. Alors que nombre d'entre elles, à la base, ont un sens profond, et sont une nécessité, pour des choses très simples, sans chichis, comme la vie, le respect, la réduction de la souffrance.

    *

    Le mot "conscience" employé plutôt que ses synonymes ou des expressions approchantes semble fermer la porte à toute contradiction, un peu comme la détention d'une vérité, posée comme telle, mais dans une sorte de mensonge, sans oser assumer clairement le rapport de forces que cela implique.

    Le mot "conscience" refuse d'emblée le désaccord, puisque ce qui y est associé est posé comme un savoir.
    Mais en plus, le mot "conscience" ronfle et sur-élève la personne qui dit la posséder, contrairement au banal mot "savoir". "J'ai conscience de" ça se la pète quand même sacrément par rapport simplement à "je sais que".
    Pourtant ça veut dire la même chose.

    Le "j'ai conscience de" souvent est comme une tromperie, comme imposer quelque chose comme une vérité mais sans le faire clairement et donc en refusant la possibilité du désaccord.

    *

    Pour finir, je n'entrerai pas dans une analyse philosophique car je n'en ai ni les bases, ni les repères, mais je perçois, pressens, ressens dans mes tripes, je ne sais pas comment le dire, que dans ces sphères flirtant avec le spiritualo-ésotérico-etc... qui utilisent le mot conscience à tout va, pour hiérarchiser les gens, il y a quelque chose qui est soit profondément débile, soit monstrueux.

    Les gens là-dedans brassent allègrement du "avoir plus de conscience que" (sous-entendu que quelqu'un d'autre, voire que tous les autres qui ne sont pas dans les mêmes sphères), comme si :
    1. la conscience pouvait appartenir à quelqu'un ou quelques-uns,
    2. il n'y en avait qu'une, ou qu'une vérité absolue, à laquelle tout le monde devrait finir par se rallier
    3. la conscience était quelque chose "à étages", en strates ou en escalier, comme quelque chose que l'on monte.

    Le point 1 me paraît monstrueux, s'il ne s'agit pas tout simplement de croyance absurde, car il transcrit un mépris absolument ahurissant de tous les autres êtres humains que ces "quelques-uns", dans cette logique élitiste et dangereuse caractéristique du new age notamment.

    Tout être humain sur cette planète a une conscience : la sienne.
    C'est là où certainement l'analyse philosophique ou quoi que ce soit d'autre me fait défaut j'imagine, pour expliciter ça, ce que je dis là est viscéral, tout individu a une conscience, il existe, il vit des choses, il traverse sa vie, il agit, réagit, fait des choix.
    Je ne pense pas que qui que ce soit puisse se permettre de dire, de l'extérieur, de cette façon prétentieuse, méprisante et arbitraire, quoi que ce soit sur la conscience d'une autre.

    La conscience, la perception, le ressenti, tout ce qui nous "habite", tout ce qui nous constitue, est personnel, intime, et échappe largement au regard d'autrui.
    De plus, il s'agit de notre être, de nous, que nous sommes seuls à connaître, à expérimenter, à vivre, depuis que nous existons.
    Qui peut se permettre de faire des hiérarchies entre les personnes sur la base de cette intimité ?
    Qui peut se permettre de l'extérieur de décréter savoir quoi que ce soit sur la conscience de quelqu'un ? et la mettre en "concurrence", et sur une échelle binaire de + ou de - selon un critère qui serait externe et absolu ?

    La conscience d'une personne est en rapport avec elle-même, ce dont nous sommes conscients, est soit des faits (c'est la conscience au sens savoir), soit de notre vécu, nos expériences, nos ressentis, expérience intérieure, personnelle. Qui peut dire dans quelle(s) direction(s) cela devrait aller ?
    Comment peut-on prétendre enfermer cela dans une espèce de "forme" absurde, par exemple de "plus ou moins que", ou "plus grand ou plus petit" ?
    Cela n'a aucun sens, et c'est d'un irrespect absolu pour l'expérience intime et unique de chaque être humain.

    Le point 2 est très caractéristique de ces sphères, dans lesquelles ce qu'on appelle la "conscience" est soit une espèce de vague arlésienne qu'on fait miroiter, ou qu'on prétend connaître, soit un paquet de croyances présentées comme vérité.

    Le mot "conscience" ici est bien utile pour éviter d'assumer chaque croyance une par une, voire même de l'énoncer.
    Car honnêtement, à part pour ceux qui sont bien enfoncés dans le new age jusqu'au cou, certaines croyances résonnent mal quand on les énonce à haute voix ou qu'on essaye de les présenter à quelqu'un. Elles sonnent faux, ou elles ne sentent pas bon, si on les confronte ne serait-ce qu'avec un vécu "classique", voire avec un vécu particulièrement douloureux.

    Je pense que la conscience se forge au travers de l'expérience, l'expérience au sens large, au sens d'expérimenter, donc être en contact, vivre soi-même, elle est donc intimement liée à soi.
    Je pense que ça n'a absolument aucun sens de déconnecter la notion de conscience de la notion de soi, et donc de ballader cette idée de "conscience" désincarnée, flottante, absolue mais que quelques-uns pourraient brandir comme un étendard en dénigrant d'autres êtres humains.

    Beaucoup de personnes énoncent des choses sous la bannière de la "conscience" qui en réalité concernent d'autres personnes, ou des phénomènes très loin d'elles, qu'elles ne peuvent pas réellement expérimenter. Il ne s'agit pas de "conscience" puisqu'il n'y a pas de contact, pas de perception directe, de quelque manière que ce soit, et bien souvent il s'agit surtout de jugements ou de projections.

    Le point 3 est la suite du point 2 : une grosse échelle hiérarchisant les êtres humains qui ainsi jouent au prof et au gourou entre eux.

    Je ne crois pas que la conscience, au sens humain du terme, soit si binaire, alors qu'elle fait partie de nos biens les plus précieux, avec le libre arbitre et la capacité de réfléchir, d'évoluer ou de s'adapter.
    Je pense que la conscience humaine est d'une grande richesse et qu'elle n'a pas à être accaparée ou enfermée par quelque idéologie, certitude ou prétention que ce soit.

    *

    Le dernier point que je veux aborder est le fait que la "conscience" n'a pas à être utilisée, détournée, déformée de son sens premier, dans le simple but d'obtenir "gain de cause" ou d'écraser l'autre dans un conflit, de se sentir moins mal en échappant à une situation pénible ou de violence, ou de ne pas faire face à la difficulté d'une opposition, d'une mésentente / confrontation ou toute autre forme d'interactions douloureuses.

    C'est presque une évidence de dire cela, pourtant j'ai vu des gens "résoudre" des conflits ou des oppositions en se plaçant comme hors de portée, sous un artifice mental, un "non mais il est pas conscient, c'est tout", qui ferme à toute écoute, tout dialogue, toute compréhension, et à toute forme de respect y compris dans l'opposition.
    Quand le mot "conscience" n'était pas à la mode, on faisait ça avec d'autres mots, le phénomène était le même : plutôt que de faire face à la pénibilité d'une interaction qui se passe mal, et à ce que l'on ressent, on dénigre l'autre en le traitant grosso modo de débile, quel que soit le terme employé.
    Autrement dit, on ne prend pas le conflit comme une opposition de points de vue, chacun pouvant exister tel qu'il est, on le prend comme une opposition entre quelqu'un qui a raison (soi) et quelqu'un qui est con et qui ne peut pas comprendre (les plus hypocrites ajouteraient : "le pauvre").

    Ce positionnement est singulièrement violent et méprisant, d'autant plus quand on l'associe arbitrairement avec quelque chose de profondément relié à l'intimité de chaque individu.
    Il s'agit de faire taire la voix de l'autre par tous les moyens. Certains utilisent leurs poings, d'autres utilisent ce genre de mots, ça revient au même, puisqu'il s'agit de nier la contradiction jusque dans la personne même qui l'exprime.


  • Tau zéro (attention il y a plein de spoilers)

    Comment réussir à écrire le malaise que j'ai ressenti de ce livre, je ne sais pas trop. Mais ça fait plusieurs semaines que je l'ai lu, et il faut que je le pose. C'est plutôt rare, en général quand je n'aime vraiment pas un livre, je le fous aux oubliettes et puis c'est tout, et j'oublie son auteur.

    Il y a quelque chose dans ce livre que j'ai trouvé vraiment pénible, qui m'a gênée, profondément, c'est notamment l'absence de profondeur caractéristique de la science-fiction.
    Cette littérature, cet univers (ensemble d'univers devrais-je dire), a une profondeur de vision, un recul, une capacité d'abstraction en même temps que d'ouverture, qui font que j'aime ce genre, depuis aussi loin que je m'en souvienne après les lectures classiques ou conseillées.

    La science-fiction emmène ailleurs, loin, et pas seulement dans l'espace ou le temps, ou dans toute forme de création par l'imaginaire et la curiosité, elle emmène aussi loin de notre propre cerveau d'une certaine façon, loin de nos routines de pensée, de nos schémas, dogmes, habitudes, évidences.
    Elle sort des codes, et de notre vision si auto-centrée de la vie, ou de nous-mêmes.

    Peu importe qu'il puisse y avoir des métaphores sur certains aspects de la vie humaine, des références à la politique ou la société de différentes époques, la bonne science-fiction ouvre l'esprit, et le nourrit, d'inconnu, de surprise, de découverte, de non-rails de pensée, en ouvrant des possibles les uns après les autres, en proposant d'y entrer, de les appréhender, et pour cela de devoir percevoir une réalité nouvelle, peu importe qu'elle soit imaginée, elle existe dans le temps et l'espace de ce livre, et pour y entrer on ajuste son cerveau, on élargit sa capacité de comprendre et de découvrir.

    J'ai en mémoire ces découvertes de mondes, d'univers entiers, de Bordage à Silverberg, en passant par Van Vogt, ou d'autres, ces plongées dans l'inconnu, s'ouvrir à toute cette réalité décrite avec ses paramètres, choisis par son auteur, entrer là-dedans, et simplement, lire.

    La science-fiction m'a toujours fait cet effet-là, même à l'époque où je ne m'en rendais pas compte.
    J'ai aimé la science-fiction bien avant de savoir à quel point je l'aimais, ce qui m'a d'une certaine façon assez bouleversée quand j'ai réalisé à quel point cette littérature, ce genre, avait une place importante pour moi, dans une nécessité à imaginer, percevoir, réfléchir à du nouveau, découvrir des mondes.

    Tau Zéro semblait rentrer dans cette espèce de saveur imaginaire, créative, cet élan où l'on pousse des portes les unes après les autres, en ouverture.

    Et pourtant, Tau Zéro malgré ses nombres même plus prononçables d'années-lumières, sa vitesse faramineuse, ne propose au final qu'un recroquevillement sur soi, de la façon la plus basse et indigne de la science-fiction qui puisse être : se complaire à reproduire le monde que l'on connaît, y compris toutes ses erreurs et ses absurdités, se complaire à revenir dans du connu, tout en ayant vécu l'impossible, mais sans en avoir rien appris.

    Le "délire" scientifique (délire au sens obsession, focalisation, comme si finalement ce livre n'était que ça : une grosse extrapolation visant à mettre en scène la théorie de la relativité) est finalement le seul aspect de semi-abstraction de ce livre. Les aspects humains sont globalement absurdes, immatures, et sans envergure.
    Un peu comme faire cohabiter un développement scientifique avancé avec une immaturité émotionnelle, psychologique et sociétale, représentative de cette partie de l'humanité qui n'est pas capable de sortir du pouvoir, de l'argent, et des rails de pensée qui empêchent un être humain de penser par lui-même.
    Ils sont petits, les humains de Tau Zéro. Et c'est surrréaliste de voir ces humains si petits pouvoir maîtriser une technologie pareille tout en restant si étriqués dans leur esprit.

    Le summum de la bêtise se trouve à la fin, quand après avoir survécu à la mort et la renaissance de l'univers, en perdant tous leurs repères, et tout lien avec l'humanité connue, la seule chose qui les intéresse est d'essayer de reconstruire une société industrielle, comme celle qu'ils connaissaient.
    Comment peut-on partir si loin, traverser autant d'épreuves, et rester aussi con ?
    Ce n'est physiquement et psychiquement pas possible, ces êtres devraient être tellement éprouvés par ce qu'ils ont vécu qu'ils sont obligés de tout remettre à plat, de s'adapter à cette table rase, de devenir d'autres gens, d'évoluer, même s'ils restent fidèles à ce qu'ils sont.
    Tout l'intérêt pouvait être là, au-delà de l'espèce de prouesse (ou branlette, selon le point de vue) scientifique que représente cette histoire : comment ces êtres vont-ils survivre à ça, comment vont-ils s'adapter, comment cela va-t-il les changer.

    Mais non. En bon être humain anthropo-centré de son époque, Poul Anderson n'en a peut-être même pas vu l'intérêt.

    Il y a non seulement une impossibilité dans tout cela, (et ceci au-delà de la suspension d'incrédulité nécessaire à la lecture d'une histoire comme ça, l'impossibilité se trouve dans l'histoire elle-même, une fois admis le contexte de l'histoire, chose que l'on fait sans arrêt en littérature, et particulièrement dans ce type de littérature), mais en plus un écrasement égocentrique complètement absurde par rapport à la force de créativité et d'ouverture que propose la science-fiction.

    J'en ai été vraiment mal à l'aise, parce que non seulement ça véhicule un truc assez désagréable dans la façon d'être un humain au sein de l'univers, mais de plus ça donne vraiment l'impression que tout cela n'était qu'un gros trip intello sur base de relativité.
    Ce qui n'a rien à voir avec un roman, et une littérature bien plus vaste et intelligente que cela.

     


  •  

     ... qui sont censées te clouer le bec pour bien te montrer que tu es con, que l'autre a vraiment raison, et que tu dois adopter sa façon de penser.

     

     Il y a des années de ça je regardais les video de quelqu'un qui faisait de la C"NV" (je mets des guillemets maintenant quand je cite cette méthode, car ce sont eux qui se décrètent "non-violents", selon leurs propres critères, pour ma part je ressens bon nombre des fonctionnements et applications de cette méthode comme très violents, entre autres par intrusivité, moralisation, et enfermement d'une personne dans des cases. Bref, c'est simplement pour expliquer les guillemets).

     

    Elle citait vraiment beaucoup le fondateur / guru de cette méthode, et notamment elle finit un jour par citer cette phrase, qui est de celles dont je parle : "Tu veux convaincre ou être en relation ?"

    C'est censé te faire fermer ta bouche quand tu essayes de défendre ton point de vue, notamment, pour que tu adoptes leur vision, qui selon eux est forcément la bonne.

     

    Au-delà de ça, je me souviens très bien quand j'ai entendu cette espèce de phrase que j'ai trouvée extrêmement rhéthorique, prétentieuse et paternaliste, de la réponse immédiate à l'intérieur de moi :

    ni l'un ni l'autre.

     

    Et cela m'a un peu abasourdie de voir que cette troisième possibilité n'avait été citée nulle part, dans cette méthode et dans cette vision du monde où la "relation" est tellement portée aux nues, que finalement les individus sont censés y sacrifier tout, y compris leur liberté et leur intégrité, puisqu'après tout, si vis à vis d'une personne lambda, pour des raisons qui n'appartiennent qu'à soi, ce qu'on veut simplement c'est ne pas la fréquenter ni la supporter de quelque manière que ce soit, alors c'est forcément qu'on a tort et qu'on est le sauvage dans cette histoire. Soi-disant.

     

    Je me souviens de cette réponse immédiate en moi, notamment par rapport à quelqu'un qui m'avait démolie et maltraitée, mais avec qui on m'attribuait un lien soi-disant "affectif" quasiment indéfaisable.

     

    Je dis "on" parce que tout cela relève d'un fantasme de société, où on a tellement sacralisé les mères et le rôle maternel, que l'on est prêt à y sacrifier tout le monde, leur progéniture, comme les mères elles-mêmes d'ailleurs, par un refus absolu, violent, et arbitraire, d'admettre que ce lien puisse être défait, car nocif ou sans objet.

     

    Je me souviens de ça parce que parfois certaines relations sont tout simplement impossibles, et il faut les défaire, pour pouvoir simplement exister et respirer librement et normalement.

     

    Il n'y a pas de petite ou grande "solution", il n'y a pas de dialogue, de "gnagnatisation cnvtisante" pour ménager un bourreau qui se fout complètement que vous soyez heureux, épanouis, ou entiers.

     

    Il n'y a pas non plus de ménagement à trouver ou avoir, il n'y a que la protection, pour éloigner totalement et sortir de sa vie quelqu'un qui n'a aucun respect et qui n'a même pas envie d'essayer d'en avoir.

     

    Alors bon, gnagnagna prétentieux, "ceci ou cela", pour que tu choisisses "cela" pour soi-disant faire comme ces gens qui s'imaginent qu'avec leurs grands airs et leurs grandes phrases ils ont tout compris à toutes les situations du monde, et qu'ils sont quand même tellement plus intelligents que nous tous qui vivons, simplement et honnêtement autant que possible, ... allez vous faire foutre.

     

     

     


  • Bien que j'évite le plus possible désormais tous les sites, blogs, forums et autres parlant de "développement personnel" au sens très large, inclus psycho etc., je suis récemment encore tombée au cours d'une recherche sur un site de "thérapeute" qui décortiquait en long en large et en travers l'"utilité" des émotions et de certaines émotions en particulier.

    Je trouve cette mentalisation permanente déjà pénible en soi, et encore plus absurde quand elle porte sur des domaines qui relèvent du sensible, donc par essence fonctionnant de manière bien différente de la sphère mentale. J'ai donc écrit ceci en réaction à tout ce charabia.

    *

    Pourquoi faut-il trouver une utilité à toutes choses pour pouvoir les accueillir et les respecter ? Et en particulier aux émotions ?

    Quand un oiseau traverse le jardin, on ne se dit pas qu'il doit justifier son existence et son droit d'être là, on le regarde comme un être vivant, et on admet sans discuter son existence.

    Les émotions sont l'expression du vivant en nous, de notre sensibilité, leur "demander", mentalement, rationnellement, de se "justifier", de prouver leur utilité, me semble relever d'une forme de bizarre négociation avec soi.

    Je pense, parce que je le vis tous les jours, que l'on peut simplement se respecter, sans demander à tout ce qui se passe en soi de se justifier d'être. Il arrive que comprendre puisse aider, mais ce n'est ni automatique ni une loi ni une nécessité absolue.

    On peut vivre en paix avec soi, y compris avec ses ressentis.

    Parfois ils sont inconfortables, voire pénibles, voire insupportables. Pour autant les rationaliser et les décortiquer ne résout pas tout, être entier en soi c'est aussi accueillir et être avec ce qui se passe, tel que c'est.

     

    Parler mental à notre sphère émotionnelle crée aussi des blocages. Parce que c'est pas le même langage. On peut pas demander à des émotions de se glisser dans les cases qui nous arrangent, ça ne marche pas comme ça, nous sommes plus que ça : plus riches que ça intérieurement, plus profonds, plus vastes. Et les émotions ont leur place là-dedans, sans avoir à les faire entrer au chausse-pied dans quelque chose de toujours très bien compréhensible pour notre cerveau rationnel.

    En rationalisant tout on se prive aussi de l'ampleur de ce que le ressenti exprime. Qui parfois dépasse bien largement les mots et peut conduire à des changements, des tournants, et aussi au quotidien à un lien avec soi profond tout en étant très simple.

     

    Je regrette que la sphère thérapeutique verse autant dans le rationnel, parce que c'est un déséquilibre quelque part. La question à mon sens n'est pas d'expliquer aux gens comment décortiquer leurs émotions pour réussir à admettre leur présence. Parce que leur présence est une réalité, nier la réalité ne mène pas à grand chose en général à part à vivre à côté de ses pompes. La question est beaucoup plus à mon sens de trouver comment poser en douceur un accueil, et une possibilité de vivre ce qui se passe en soi, un soutien intérieur et une capacité d'auto-empathie qui nous permet de ne pas nous rudoyer ou nous justifier en permanence alors que nous sommes simplement ce que nous sommes à un moment donné.

     

    J'ai la sensation de vivre dans un monde où il faudrait soi-disant être toujours fun, zen, souriants, cool, et que sais-je encore.

    Alors oui on aime bien aller bien, parce que c'est agréable. Mais desfois on va mal. On ne peut pas trier et choisir à l'intérieur de soi comme si certaines choses étaient plus intéressantes et acceptables que d'autres, c'est violent intérieurement, nous sommes un tout, un être entier, nous vivons notre vie dans tout ce qui se passe. Les choses nous touchent, c'est une réalité. Encore heureux ! Nous sommes vivants et sensibles. Et je pense qu'il serait vraiment bénéfique collectivement que le monde sensible et émotionnel ait une place réelle, et respectée, pas juste la case dans le coin que l'on tolère parce qu'on a bien compris à quoi ça servait. Nous avons le droit d'exister dans toutes nos dimensions. Je pense qu'il serait vraiment important que le monde thérapeutique aussi commence à s'y mettre pour aider les gens à se sentir mieux dans cet équilibre.

     

    Je ne pense pas du tout que les émotions se "gèrent". Ce n'est pas un agenda, une série de problèmes ou de patates chaudes, ce sont des expressions vivantes de soi. On est pas non plus obligé de leur trouver toujours un super message très clair pour les laisser vivre, se laisser vivre et s'entourer de chaleur et d'amour tel que l'on est à un moment. Je pense que les émotions s'écoutent, se respectent, s'accueillent, et que globalement on peut soi-même s'écouter et se respecter.

    NB : Je précise que j'ai vécu de nombreuses violences, à commencer par de la maltraitance. Je ne minimise aucunement les émotions et la douleur, donc ce que je dis là n'est aucunement basé sur une espèce de pseudo facilité liée à une histoire sans trop de difficultés. J'ai traversé des degrés de douleur interne à la limite du supportable, et pas qu'une fois. Et pour autant, toute ma route n'a fait que me confirmer l'importance de respecter et écouter ses ressentis, aussi pénibles soient-ils (et en respectant son rythme ça va de soi).

     


  • Si je démonte aussi radicalement cette soi-disant "méthode empathique" c'est que je considère qu'elle est parmi les faux espoirs et les mensonges les plus criants des sphères actuelles du "développement personnel", et de la pseudo-bienveillance teintée de jugement que l'on voit proliférer de partout dans le monde occidental.

    La CNV récupère des éléments de psychologie, notamment sur l'existence des besoins psychiques, en prétendant en devenir LE spécialiste de notre époque, alors que bien souvent ces besoins sont foncièrement incompris voire même piétinés en renvoyant en permanence la personne à elle-même alors qu'il y a une nécessité de reconnaissance réelle, claire, sans équivoque ou chichis et sans moralisation. C'est à dire une reconnaissance humaine profonde, basée sur la compassion.

    Prétendant apporter de l'empathie, la CNV fait exactement l'inverse par exemple dans les cas de violence, en ne comprenant strictement rien à l'état de la personne qui en a été victime, et en lui "apportant" cet espèce de truc froid, relativisant de par la manière dont cette "écoute" des besoins s'exprime.

    Il y a notamment un gros problème vis à vis de la reconnaissance des droits individuels. Dire à une victime de viol "ah tu te sens gnagnagna parce que tu as besoin de.....", c'est d'une bêtise monstrueuse, et d'une inhumanité crasse. Déjà sur le ton, la froideur, etc. Mais en plus sur un plan de simple reconnaissance des droits de l'homme, c'est monstrueux. Toute personne a DROIT au respect de son intégrité physique et à disposer librement de son corps. Ce besoin est si fondamental, si important pour les êtres humains, qu'au fil des générations et de l'évolution du respect des individus, il a été inscrit en tant que droit fondamental. Il en est de même pour l'égalité, ou la liberté d'expression, selon les pays évidemment.

    Bêtifier tout cela en mode "gentil petit développement personnel occidental" est donc non seulement idiot et bas de plafond, mais en plus grave sur un plan civique, et pour la progression de la prise en compte des droits humains ("besoins" fondamentaux, si l'on veut absolument utiliser ce vocabulaire, érigés en droits inaliénables).

    Donc en prétendant prendre en compte les "besoins" des personnes, les CNVtisants dans un certain nombre de cas, marchent purement et simplement dessus.

    A mon sens, ceci vient notamment de l'espèce d'orgueil démesuré de toute méthode qui se prétend "meilleure que tout le monde", et qui prétend agir en marge de tout ce qui existe déjà.

    Si les pratiquants de la CNV avaient vraiment envie de contribuer à un monde meilleur, à un respect profond des droits et des aspirations des personnes, ils pourraient oeuvrer main dans la main avec tout ce qui existe déjà, tous les gens qui se battent déjà au quotidien pour faire avancer des causes, pour faire avancer la reconnaissance des violences et des inégalités, etc. Il y a pas mal de gens qui se crèvent le c.l dans le domaine social ou humanitaire, pour défendre les victimes de violences. Apporter son concours à tout cela témoignerait d'une réelle aspiration à aider plutôt que se faire mousser ou professer du bisounours déconnecté de la réalité.

    Mais ça n'est pas vraiment ça qui arrive. Et globalement on est plus proche de ce grand fantasme de "un monde en paix", leitmotiv des concours de miss, que d'une acceptation réelle du monde comme il est en y faisant progresser un certain nombre d'aspirations et de "mieux", sur de nombreux plans.

    Que l'idéal, le but ultime, ait une importance, je ne dis pas le contraire, et bon nombre d'entre nous, CNV ou non, seraient fort heureux de vivre dans un monde en paix. Evidemment. Mais aspirer à la paix ne donne pas le droit de nier ou se déconnecter de tout ce qui n'en est pas. Au contraire même je dirais.

    Pour ce que j'ai pu en constater, un certain nombre de gens faisant la "CNV" vont même jusqu'à être déconnectés de choses pourtant assez "banales", comme le monde du travail classique par exemple, avec toute la violence et les difficultés qu'il comporte, donc ils ont beau jeu de vous faire la morale avec leur air compassé "moi je suis bienveillant, toi tu es un pauvre caca qui juge tout le monde, tu as pas encore compris, je vais t'apprendre". C'est facile de se dire que "y'a qu'à", quand soi-même on n'a jamais à faire à un patron à la con, à une hiérarchie agressive ou méprisante, à des horaires de travail épuisants qu'on est obligés de garder pour ne pas perdre son boulot, etc.... C'est facile.

    Et cette observation rejoint une observation que j'ai faite petit à petit en quittant le monde du "développement personnel", c'est que la plupart des gens là-dedans sont entre eux, y compris au niveau "professionnel". Les "coachs" forment de nouveaux "coachs" qui eux-mêmes vont aider des gens à trouver une "reconversion professionnelle dans le développement personnel", etc etc. Et au-delà de l'aspect livres, consultations etc. qui vient toucher aussi des gens qui sont beaucoup plus dans un monde réel et qui cherchent ponctuellement des solutions à leurs soucis, cela crée comme une espèce d'économie parallèle, qui s'auto-alimente, avec ses règles bisounours, et tous les mensonges qui vont avec.

    Il est donc totalement inutile de parler à ces gens de problèmes réels, ça ne les intéresse pas, et l'on risque surtout de se faire casser encore un peu plus. Dans le "développement personnel", extrêmement dérivé et influencé par le new age, "tu n'as pas de vrais problèmes, soit c'est de ta faute quelque part, soit c'est une question de perception".

    Ben oui, finalement, quand on vend du "conseil" à 50 balles de l'heure en ayant toujours un vivier de nouveaux clients parce qu'on surfe sur un phénomène global, que donc on bosse bien tranquille chez soi, pas de stress, pas d'heures de pointe, pas de petit chef ou de problème économique, c'est sûr, la vie c'est cool.

    Il y a une chose qui est certaine, c'est que si tout le monde faisait comme eux, suivant leurs magnifiques conseils, ils n'auraient plus grand chose à manger ni à se mettre sur le dos, parce que question productivité, c'est nullissime. Et ceci même sans verser dans une quelconque vision super-économique du monde. Juste en prenant en compte, justement, les besoins fondamentaux, manger, se vêtir, avoir une maison, tout ça.

    On peut vendre du conseil, c'est à dire quelque chose qui ne produise pas de matière ou de concret, mais si c'est le cas on a le devoir moral de s'assurer que c'est en lien avec la réalité, et non une simple fuite personnelle pour se mettre à l'abri d'un monde qui ne nous convient pas. Ne serait-ce que par respect pour les gens qu'on prétend "conseiller" ou "écouter".

    Et aussi par respect pour les autres, autour, qui n'ont pas le luxe de pouvoir, eux, suivre cette échappatoire ou qui se prennent en revers cette condescendance dégueulasse en plus de leurs éventuelles difficultés.

     






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